JEUNESSE: SARKO A TOUT FAUX ET S'EXPOSE AU PIRE

Publié le par SERAFINE

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Bruno Laforestrie, PDG de la radio Générations 88.2 (Patrice Normand/Temps Machine pour Le Monde)

 18 août 2010

Bruno Laforestrie, 37 ans, PDG de la radio Générations 88.2, a accordé un entretien au journaliste Luc Bronner du journal Le Monde, dans l’édition du journal datée du 13 août 2010. Cet entretien passionnant mérite d’être replacé dans son contexte : Bruno Laforestrie, la radio Génération 88.2, et le journaliste du Monde Luc Bronner.

Bruno Laforestrie fonde en 1996, à 23 ans, Hi Media avec 2 associés, qui se lance dans la production et la régie publicitaire : en 2010, Hi Media est leader européen de la régie publicitaire par internet. Cependant, en 2002, Bruno Laforestrie revend ses parts dans Hi Media, et se consacre à ce qui lui tient vraiment à cœur : le métier d’éditeur (musical), tout en vivant « sa passion pour le rap ».

Le père de Bruno Laforestrie, René Laforestrie, docteur en psychologie, a créé en 1992 uneradio associative pour établir des liens entre les personnes âgées de l’hôpital gériatrique Charles Foix d’Ivry et les jeunes de l’extérieur, E-FM Inter générations ; E-FM comme l’espace FM. La petite radio, qui dès 1993 est investie par les DJ, les groupes de rap des quartiers, est tout naturellement reprise en 2002 par Bruno Laforestrie ; elle fusionne avec Paris Jazz et émet toute la journée.

2002, c’est aussi le sursaut de Hip-Hop Citoyens, orchestré par Princesse Aniès, face à l’arrivée de Le Pen au deuxième tour. En novembre 2005, les émeutes dans les banlieues donnent naissance à l’émission hebdomadaire « Générations Citoyens », une émission de débat politique qui renoue avec les racines de la radio : là où en 1992 elle cherchait à établir des liens entre personnes âgées hospitalisées et jeunes à l’extérieur, elle fait se rencontrer les jeunes des banlieues d’une part – les « quartiers » - qu’ils soient rappeurs, animateurs, membres du milieu associatif, professeurs ou candidats aux élections, et d’autre part des personnalités politiquescomme Benoît Hamon, le maire UMP de Neuilly, Jean-Marie Bockel, ou Olivier Besancenot, ou des journalistes comme Luc Bronner du journal Le Monde.

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En 2008, Générations 88.2 inaugure 4 nouvelles radios web thématiques, Rap français, Rap US, R&B Soul et Reggae, et son 3ème site internet, qui devient le premier site internet de radio locale en France. La radio émet sur toute l’Ile-de France, Neuilly-sur-Seine est la 8ème ville ou la radio est la plus écoutée, et la radio se classe 5ème sur 13 radios locales en Ile-de-France au 2èmetrimestre 2010, battant même sur RFI et France Musique, qui sont des radios thématiques et non locales.

Le 26 avril 2007, l’association des amis de Ségolène Royal organise une rencontre de soutien des entrepreneurs au pacte présidentiel. Parmi ceux présents principalement des patrons de PME dont un certain nombre de pionniers de l’internet en France, parmi lesquels Bruno Laforestrie, satisfaits que Ségolène ait fait des PME, de l’innovation et d’internet ses priorités.

Par ailleurs, le 7 janvier 2010, Bruno Laforestrie signe l’Appel pour une République multiculturelle et postraciale, suivi de 100 propositions pluricitoyennes, et il participe à la réflexion sur la proposition n° 72, « Valoriser l’entrepreneuriat équitable ». Cet appel, rédigé par 5 auteurs dont Lilian Thuram et l’historien et chercheur au CNRS Pascal Blanchard, est également signé par de très nombreuses personnalités, dont Clémentine Autain, la navigatrice Maud Fontenoy, Jean-Paul Huchon, Nicolas Hulot, Marc Jolivet, George-Pau Langevin, députée socialiste en charge de la Justice au sein du groupe, Pascal Obispo, Valérie Pécresse, Christiane Taubira, Fodé Sylla, Benoît Thieulin, et Rama Yade.

Mais les activités de Bruno Laforestrie ne se limitent pas là. Il a soutenu la création, après le succès de Hip-Hop Citoyens en 2002, en réaction à la présence de Le Pen au second tour, de Paris Hip-Hop en 2005, dont il est aujourd’hui président. La 5ème édition s’est déroulée du 22 juin au 4 juillet 2010, et a réuni 300 artistes à Paris autour de 15 événements. Le 29 juin 2010, l’ambassadeur des Etats-Unis, Charles Rivkin, a inauguré le premier Paris Hip-Hop Campus au WIP-La Vilette : « France vs. US : une nouvelle école de la réussite ! », qui a permis de confronter les expériences américaines et frs et françaises du hip-hop en présence de représentants du monde associatif, artistique, médiatique et institutionnel.

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Luc Bronner

Luc Bronner, enfin, 36 ans, est journaliste au journal Le Monde, où il couvre les banlieues, dont il a su gagner la confiance en en arpentant les quartiers, enchaînant des dizaines et des dizaines de visites pendant des années, à toutes les heures de la journée. Comme le note Marianne2.fr« Luc Bronner est l’un des rares journalistes à pouvoir enquêter en banlieue ».

 Il a reçu en 2007 le prix Albert-Londres, qui couronne chaque année depuis 1932  le meilleur « Grand Reporter de la presse écrite » française, pour ses enquêtes sur les jeunes et les quartiers sensibles. Il a publié un livre « La loi du ghetto – enquête dans les banlieues françaises » début 2010. Il est l’auteur ou le co-auteur de nombreux articles du journal Le Monde ces derniers temps, comme : « Sarkozy prend les Français pour des imbéciles » (titre en première page, 17 août 2010), un entretien avec Daniel Cohn Bendit, Pourquoi la surenchère sécuritaire de Nicolas Sarkozy mène à une impasse (première page, 18 août 2012), De l'insécurité des sondeurs face à la mesure des politiques de sécurité (15 août 2010).

Frédérick Moulin

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13 août 2010

" Le ghetto français, ce ne sont pas les quartiers, mais la vieille élite "

Pour Bruno Laforestrie, PDG de Générations 88.2, la société française " a peur de sa jeunesse "

ENTRETIEN

Bruno Laforestrie, 37 ans, est une " tête chercheuse ", parmi les pionniers d'Internet, aujourd'hui patron de la radio Générations 88.2, un média très influent en banlieue parisienne.

De son poste d'observation, il dresse le portrait de nouvelles générations pour lesquelles la " diversité ethnique " est devenue naturelle, à l'inverse des élites traditionnelles, pétrifiées face au nouveau visage de la jeunesse.

D'où, selon lui, les polémiques récurrentes sur l'immigration, les banlieues et l'insécurité. " C'est le signe d'une société crispée, qui a peur d'elle-même, peur de sa jeunesse ", souligne-t-il.

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Un immeuble HLM près du quartier d'Endoume à Marseille (Patrick Tourneboeuf/Tendance Floue)

Les conflits d'intérêts entre les classes d'âge sont nombreux, mais la question générationnelle n'émerge pas. Pourquoi ?

Il faut d'abord s'entendre sur le constat d'un conflit d'intérêts majeur. Sur le plan économique d'abord : notre société se caractérise par la concentration du patrimoine dans les mains des plus de 60 ans, d'un côté, et l'endettement public pour les nouvelles générations, de l'autre.

Sur le plan des élites ensuite : le pouvoir politique, économique et culturel reste aux mains des plus vieux, notamment des baby-boomers. Notre système intellectuel et politique demeure ainsi formaté par les clivages des années 1950 et 1960. Avec une conception dogmatique de l'opposition droite-gauche pour penser la société.

Or, je pense qu'il faut s'attendre à une explosion de la " dynamite générationnelle " dans les prochaines années parce que le conflit d'intérêts entre générations est trop flagrant. Les partis politiques n'ont pas pris conscience de cette évolution.

Quelles sont les différences entre les générations au pouvoir et les nouvelles élites ?

Deux mouvements se conjuguent pour donner aux nouvelles générations un profil différent. D'abord, la tendance au recentrage sur la sphère privée, amplifiée par la désillusion vis-à-vis de ces idéologies qui structurent les générations précédentes. Le deuxième mouvement est lié à Internet et aux possibilités d'interconnexion à travers les réseaux sociaux. D'où la possibilité, paradoxale, d'être replié sur le privé, sur sa tribu, sur sa communauté et complètement ouvert sur le monde, sur le global.

Les élites actuelles comprennent-elles l'évolution en cours ?

Les élites françaises ont subi deux chocs ces vingt dernières années. Le premier lié à l'émergence de nouveaux entrepreneurs issus notamment des nouvelles technologies qui bousculent les réseaux traditionnels.

Le second, plus profond encore, est lié au changement de visage culturel de la France : aujourd'hui, pour des raisons démographiques, c'est la jeunesse urbaine qui est dominante culturellement. Or, celui qui domine le soft power est en position de force.

L'image des jeunes des quartiers n'a pourtant jamais été aussi mauvaise.

Oui. Cette génération urbaine, que l'on a tendance à tort à réduire à la jeunesse des quartiers, est d'abord perçue comme une menace. On l'a encore vu avec les discours de Nicolas Sarkozy à propos des violences de Grenoble.

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Nicolas Sarkozy lors de son discours à la préfecture de l'Isère à Grenoble le 30 juillet 2010

C'est la lecture policière qui est privilégiée alors qu'on sait bien que, dans un Etat démocratique,les problèmes de société - pauvreté, intégration... - ne se règlent pas avec la police.

C'est sur la culture de rue qu'il faudrait agir en profondeur : s'occuper des milliers de gamins qui n'ont plus de repères en leur proposant quelque chose avant et après l'école, comme l'éducation populaire avait su le faire au siècle dernier.

Comment se traduit cette domination de la banlieue ?

C'est moins spectaculaire que des émeutes ou des descentes policières, mais cela témoigne d'un mouvement beaucoup plus profond. Regardez la publicité qui reprend les codes du graph et des banlieues. Regardez les tenues vestimentaires des adolescents, quelles que soient leurs origines. Ou leurs préférences musicales : les musiques urbaines représentent aujourd'hui une part très importante de la consommation culturelle. Pour les 15-25 ans, par exemple, jusqu'à 50 % des téléchargements sur Internet correspondent à du rap ou du R'n'B. Prenez le public de NTM au Parc des Princes : des jeunes de banlieue, des chauffeurs-livreurs mais aussi des banquiers ou des publicitaires !

Même chose pour le langage : le vocabulaire de la banlieue a envahi les cours de récréation, y compris dans les centres-villes... La jeunesse urbaine ne domine pas la culture officielle, mais celle de la rue, celle des grandes masses.

Dans ces générations, la diversité ethnique est un enjeu ?

La notion de mixité ethnique ou culturelle est complètement naturelle. On l'entend d'ailleurs à travers les termes utilisés : ces générations n'ont plus aucune difficulté à parler de Blancs, de Noirs, de Maghrébins et ne restent pas sur les expressions craintives sur les " jeunes issus de l'immigration ".

Pour les nouvelles générations, la question ethnique est dédramatisée parce que la diversité est une évidence. La mixité sociale, en revanche, reste une idée lointaine parce que l'entre-soi et la ségrégation sont très puissants.

Comment évoluent les partis ?

Le PS ne s'est pas encore remis de la génération Mitterrand. A l'époque, il avait fait son marché chez les énarques - ils sont toujours là. Quant à l'instrumentalisation réciproque du PS et de SOS-Racisme, on sait bien qu'elle n'a pas porté ses fruits sur le renouvellement de la gauche.

Côté UMP, il y a eu l'intuition, ces dernières années, de l'existence d'une fibre entrepreneuriale chez les jeunes des quartiersMais l'UMP s'est explosée à travers les débats sécuritaires et identitaires.

D'autres pays ont-ils mieux perçu le mouvement ?

Pour le reste du monde, le ghetto français, ce ne sont pas les quartiers ou les nouvelles générations de la diversité, mais bien la vieille France, cette vieille élite repliée sur les réseaux traditionnels.

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Barack Obama et la vieille élite française (dessin de Martin Vidberg, www.martinvidberg.com)

Aux Etats-Unis, en particulier, le mouvement urbain est très puissant. Obama a gagné les élections en s'appuyant sur la Silicon Valley et sur le monde de l'entertainment, en y incluant les grandes figures du hip-hop. Il a aussi compris comment utiliser les réseaux sociaux. Pas pour faire de la propagande à l'ancienne. Mais en pensant la campagne comme les " flashmob " ou ces apéros géants qui font si peur à nos élites.

Propos recueillis par Luc Bronner

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